L’article 145 du Code de procédure civile permet de faire ordonner la recherche des preuves dont pourrait dépendre la solution d’un litige à venir. Sa mise en œuvre est subordonnée à la démonstration subtile par le requérant de ce qu’il existe un « motif légitime » d’ordonner une telle mesure d’instruction, a fortiori lorsque celle-ci est demandée de façon non-contradictoire.
Le concours d’un détective peut être utilisé pour administrer valablement la preuve de ce que le requérant est en droit de solliciter une « mesure 145 » par voie de requête.
L’article 145 du Code de procédure civile dispose :
« s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé ».
Ce puissant outil procédural autorise toute personne qui envisage une action en justice à requérir des mesures avant dire droit avec pour objectif d’appréhender tous éléments dont pourrait dépendre la solution du litige.
Notamment, le requérant peut, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, demander au juge de désigner un commissaire de justice (huissier-instrumentaire, avec l’aide, le cas échéant, d’un expert informatique et de la force publique) qui aura pour mission de saisir ou de prendre copie d’éléments précisément désignés, dans un lieu déterminé, même s’il s’agit d’un lieu privé (domicile ou siège social).
Le juge doit en principe être saisi en référé selon une procédure contradictoire et ce n’est qu’exceptionnellement, lorsque les circonstances l’exigent, que la mesure peut être ordonnée ex parte, c’est-à-dire sur requête et de manière non-contradictoire.
Comment la partie qui sollicite le juge peut-elle justifier la nécessité de l’effet de surprise et donc de la dérogation au principe du contradictoire ?
Rappelons que les circonstances justifiant la dérogation au contradictoire doivent être explicitées dans la requête puis dans l’ordonnance et qu’il ne suffit pas de prétendre qu’un effet de surprise est indispensable : il faut motiver cette exigence en se référant aux circonstances de la cause (Cass. Civ 2, 19 novembre 2020, n°19-12.086).
Deux éléments d’appréciation sont classiquement combinés pour établir la nécessité de l’effet de surprise.
Le premier élément tient à l’objet de la mesure d’instruction civile : certaines choses ne sont pas susceptibles de disparaître, soit parce que leur conservation est rendue obligatoire par la loi, soit par nature même de ces choses, soit parce qu’elles sont contrôlées par la partie qui demande la mesure…
D’autres choses, à l’inverse, peuvent être facilement détruites ou altérées si elles sont dans les mains d’un tiers (on songe naturellement aux outils informatiques et aux données numériques). C’est uniquement cette seconde catégorie qui est susceptible de commander une ordonnance sur requête.
Le second élément d’appréciation tient au « contexte » qui doit faire redouter la disparition des preuves : ce sont en effet ces craintes qui justifient l’utilisation de la procédure sur requête (Cass. Com, 6 novembre 2019, n°18-15.363).
A cet égard, certains contextes sont particulièrement favorables à une dissimulation ou une destruction de preuves : tel est souvent le cas lorsque sont suspectés des faits de concurrence déloyale, une situation de parasitisme ou encore la méconnaissance d’une clause de non-concurrence.
Le demandeur doit alors convaincre le juge de l’existence de ce contexte alors qu’il est – paradoxalement – dans une situation où il n’est pas en mesure de prouver parfaitement l’ensemble des faits (puisque c’est l’objet même de la mesure d’instruction d’établir lesdits faits !). Rappelons d’ailleurs que la mesure doit être « utile », de sorte que le juge doit refuser d’intervenir lorsque le requérant peut lui-même collecter les éléments de preuves qui sont visés par sa demande (Cass. Com., 18 février 1986, n°84-10.620).
Le requérant doit donc fournir des « indices » (Cass. Com., 17 mars 2021, n°19-16.423) qui permettent d’étayer aussi bien le caractère plausible d’un litige (Cass Civ 2, 10 décembre 2020, n°19-22.619) que le risque de disparition des preuves.
Quelle est la valeur ajoutée de l’enquêteur de droit privé ?
L’article 145 du Code de procédure civile constitue donc une arme puissante mais qui requiert une préparation subtile, le requérant devant s’attacher à donner de la consistance à ses soupçons afin de les rendre plausibles et vraisemblables (Cass. Civ 2, 10 décembre 2020 précité).
Lorsque la démonstration est peu aisée, l’enquêteur privé devient alors le partenaire idoine de l’avocat désireux d’étayer au mieux sa requête.
Rappelons en effet que le commissaire de justice n’a pas à proprement parler de pouvoirs d’enquête et a pour obligation de décliner son identité et sa qualité dans toutes les actions qu’il entreprend.
A l’inverse, l’enquêteur de droit privé, qui tire de la loi la possibilité d’agir sans faire état de sa qualité ni révéler l’objet de sa mission (Art. L621-1 du Code de la sécurité intérieure), peut réaliser de manière efficiente le recueil des renseignements manquants.
Selon la typologie du dossier, l’intervention du détective permettra, par le recueil d’éléments factuels, de mettre en lumière le non-respect d’une clause de non-concurrence ou encore d’illustrer des agissements déloyaux. En outre, les investigations pourront par exemple apporter les preuves objectives d’une organisation frauduleuse d’insolvabilité.
A l’issue des investigations, l’enquêteur privé rédigera un rapport d’enquête dans lequel seront consignés l’ensemble des éléments recueillis, le cas échéant, sur le terrain, sur internet, par une enquête administrative, à travers l’étude de pièces comptables ou d’actes de société, ou encore d’appels téléphoniques prétextes …
Ce rapport illustré et didactique, permettra à l’avocat de porter efficacement la demande devant le magistrat compétent. Il importe de préciser que ce rapport peut parfaitement être produit en justice, et il est d’ailleurs fréquent que les mesures sollicitées soient ordonnées à la lumière de rapports d’enquêtes privées dès lors que ceux-ci sont proportionnés et répondent aux conditions de fond et de forme nécessaires (voir pour ex. Cass. Civ 2, 17 mars 2016, n°15-11.412 et Cass. Civ 2, 14 novembre 2019, 18-24.153).
Après le prononcé de l’ordonnance, le détective privé pourra également s’avérer utile afin de faciliter l’intervention du commissaire de justice, par exemple pour déterminer précisément le lieu d’une activité ou encore pour s’assurer en amont que les protagonistes sont présents sur le lieu de l’intervention.