Le caractère illicite d’un dispositif de surveillance de l’activité des salariés n’entraine plus automatiquement son rejet des débats comme moyen de preuve.
Cette évolution, qui s’inscrit au regard de la jurisprudence récente de la CEDH, pourrait annoncer le retour des filatures comme moyen de preuves dans les conflits employeurs/salariés.
Dans un arrêt du 10 novembre 2021, la chambre sociale a en effet considéré que la Cour d’appel aurait dû, malgré l’illicéité de la vidéosurveillance mise en place par l’employeur, apprécier si l’utilisation de cette preuve portait atteinte au caractère équitable de la procédure.
En l’espèce, une caissière travaillant dans une pharmacie mahoraise avait été licenciée pour faute grave. Or, le dispositif de vidéosurveillance qui a permis de recueillir les preuves contre elle était destiné à la sécurité de l’espace de vente. Ni le personnel ni ses représentants n’avaient été informés que ce système était également en mesure de contrôler les salariés.
Les dispositifs de surveillance de l’activité des employés, en application du principe de loyauté incombant à l’employeur, doivent en effet être portés à la connaissance des salariés et faire l’objet d’une consultation préalable des représentants du personnel (Art. L1222-4 et L2312-38 du Code du travail).
La Cour de cassation relève ainsi que la preuve était entachée d’illicéité.
Elle précise toutefois que cela n’entraîne pas nécessairement le rejet de la preuve et indique dans un attendu limpide que :
« l’illicéité d’un moyen de preuve […] n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
Déjà, dans ses arrêts « Petit Bâteau » du 30 septembre 2020 et « AFP » du 25 novembre 2020, la chambre sociale avait renoncé à la règle traditionnelle consistant à écarter drastiquement toute preuve illicite – en admettant que le droit à la preuve pouvait justifier que soient versés aux débats des éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié (arrêt « Petit Bâteau ») ou le résultat de l’exploitation des adresses IP du salarié (arrêt « AFP »), à la condition que cette production soit « nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ».
La solution n’est donc pas nouvelle et s’inscrit au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), notamment des arrêts « Barbulescu » (CEDH, 5 septembre 2017, n°61496/08) et « Lopez Ribalda » (CEDH, 17 octobre 2019, n°1874/13 et 8567/13) qui ont admis, sur le fondement du droit au procès équitable et du droit à la preuve qui en découle, des moyens de preuve obtenus au détriment du droit à la vie privée.
Filature du salarié.
Désormais, l’obtention illicite d’un moyen de preuve n’entraîne donc plus nécessairement son rejet des débats. Les magistrats doivent apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.
Les juges doivent, pour ce faire, mettre en balance le droit au respect de la vie privée et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Cette mise en balance des intérêts en présence complexifie le travail des juridictions et la question se pose actuellement de la nécessité de précisions prétoriennes en fonction, par exemple, du degré d’illicéité de la preuve, de l’existence d’alternatives pour obtenir la même preuve cette fois de manière licite ou de la nature du moyen mis en œuvre pour collecter la preuve.
En ce qui concerne spécifiquement les filatures, la chambre sociale jugeait classiquement que la preuve obtenue au moyen du recours à un enquêteur privé est illicite et irrecevable dès lors que ce dispositif de surveillance n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés (Cass. Soc., 15 mai 2002, n°00-42.885).
C’est bien néanmoins dans la nature même de la filature qu’elle se déroule sans que la personne concernée n’en soit informée !
Dans un arrêt ultérieur du 26 novembre 2002, la Cour a pu également exclure par principe la filature organisée par l’employeur pour contrôler et surveiller l’activité d’un salarié, qui constitue un moyen de preuve illicite dès lors qu’elle implique nécessairement une atteinte à la vie privée de ce dernier, insusceptible d’être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l’employeur.
Cette condamnation très nette de la filature par la chambre sociale devrait toutefois, au regard des développements récents suivant les arrêts de la CEDH précités, évoluer dans un sens favorable et se conformer au contrôle de proportionnalité et de nécessité déjà opéré par la première chambre civile dans le contentieux du divorce et par la chambre commerciale en matière de concurrence déloyale.
En tout état de cause, les employeurs et leurs conseils devront porter une attention particulière à la question et nul doute que l’enquêteur de droit privé intervenant de manière raisonnée redeviendra alors un acteur majeur dans l’effectivité des droits de la défense en matière sociale.